Lorsque son ferry s'immoblisa enfin à l'extrémité du quai principal du petit port pittoresque de l'île de Mankana, Eileen était encore accoudée sur le pont de l'embarcation, à contempler l'immense océan turquoise qu'elle venait de traverser au prix d'une croisière qui, bien qu'agréable et réconfortante, lui avait coûté près d'une semaine d'inactivité, au cours de laquelle elle avait passé son temps à rêvasser et à somnoler au soleil, sans véritablement se soucier des impératifs de son métier : c'est pourquoi la jeune chanteuse avait pris quelques jours auparavant la résolution de commencer à travailler son nouvel album dès son arrivée sur son lieu de villégiature, afin de récupérer le temps perdu. Toutefois, en admirant le paysage idyllique face auquel elle venait d'accoster, l'irlandaise comprit presque immédiatement qu'elle ne tiendrait pas la promesse de dur labeur à laquelle elle s'était pourtant sincèrement promise de se tenir : sous ses yeux émerveillés, des vagues éphémères couronnées d'écumes naissaient aux alentours de la coque au dessus de laquelle elle se trouvait et se dispersaient en ondes étoilées dans un horizon infini qui mêlaient indifféremment ciel et mer au sein d'un même ton bleuté, des plages de sable fin mordorées s'étendaient comme des langues de feu sur des dizaines de kilomètres de part et d'autre de la baie où son bateau se trouvait amarré, et il lui sembla l'espace d'un instant que les arbres exotiques aux feuilles torsadées qui bordaient la côte inclinaient leurs troncs multicolores dans sa direction.
"Mademoiselle... excusez-moi, vous êtes la dernière passagère, ce navire doit repartir d'ici peu, si vous vouliez bien descendre, vos bagages vous attendent sur le quai..."
La jeune femme, après s'être excusée auprès du membre de l'équipage qui venait de lui faire cette brève remarque, gagna rapidement la passerelle qui faisait le lien entre le navire et la terre ferme. Sitôt descendue sur le quai, elle décida de faire porter ses valises à son logement, afin de demeurer seule sur le front de mer, et de profiter du parfum estival et iodé qui l'entourait tout entière depuis son arrivée : en effet, au plus profond d'elle-même, la jeune chanteuse éprouvait le besoin, aussi inexplicable qu'inexprimable, de sentir la bise légère en provenance du large battre ses tempes, et d'éprouver son souffle apaisant entre les fils bouclés de ses longs cheveux blonds détachés.